Les Scènes d'amour en Fantasy: introduction

Il y a relativement peu de scènes explicites en fantasy classique. Heureusement, car j’ai tendance à sauter ces passages à la lecture. Pourquoi ? Parce qu’ils me font presque toujours sortir de l'histoire. Imaginez : vous êtes plongé dans un univers dépaysant, incroyable, différent, et dès que vous tombez sur une scène de sexe, on dirait que les persos sont des petits bourgeois des années 70 ou des acteurs de film porno, sans imagination, de surcroit. De plus, la scène s’intègre rarement dans le récit. Elle tombe comme un cheveu sur la soupe. Vous avez l’impression qu’elle est là pour remplir un cahier des charges précis et faire vendre le livre, plutôt que pour apporter quelque chose à l’histoire. Surtout en fantasy américaine. Ce problème n’est pas spécifique à la fantasy. C’est aussi le cas de la plus grande partie de la littérature populaire et des romans historiques. La SF reste encore une exception (tout juste).

Les allusions sexuelles sont arrivées en fantasy avec le pulp. Le sexe, on le sait, fait vendre, d’autant plus que ces magazines visaient tout particulièrement les ados et YA mâles. Avec les années 60, les pulps sont devenus de plus en plus explicites avec des scènes qui ne sont pas sans rappeler les romances et bitlit modernes, comme dans l'inénarrable série "Blade".

Avec les années 60, les scènes explicites et les interrogations de l’époque entrent également dans la fantasy comme dans la SF et les autres genres littéraires. Les scènes cadrent bien avec l’histoire et reflètent parfois une vision féministe, comme dans les romans de Marion Zimmer Bradley ou Tanith Lee.

Mais dans les années 90, tout change. Àmha, le problème a été paradoxalement l’arrivée des femmes dans le lectorat de fantasy aux US et l’apparition d’auteures qui ont commencé à mêler fantasy et romance. Quel intérêt ? Là, il faut voir l’histoire de la romance : du milieu des années 70 à la fin des années 80, la vogue est aux « bodice rippers », des récits historiques avec des scènes de sexe qui dans la vie réelle seraient qualifiées de viols et des héroïnes virginales qui saignent des torrents d’hémoglobine (voir Kathleen Woodiwiss, par exemple). De même, pour les romances situées dans le monde moderne on a une héroïne toujours virginale confrontée à un héros dominateur. Les histoires de sheiks qui kidnappent de pauvres blondinettes occidentales font encore un tabac. C’était avant 2001… Bref, 50 Shades of Grey n'a strictement rien de révolutionnaire.

Cependant, au début des années 90, la nouvelle génération de lectrices de romance qui lit aussi de la fantasy est blasée. Les histoires de ce genre sont devenues des clichés éculés. Du coup, les héroïnes des romans qui se passent dans le monde réel deviennent un peu plus diplômées et un peu moins tartes. D’un autre coté, il y a encore un marché pour le fantasme du mâle dominateur. Alors comment concilier héros phallocrate et héroïne faible sans retomber dans le bodice ripper ? Les faire évoluer dans un univers totalement imaginaire ! De plus, on peut se permettre quelques originalités coté sexe (pas trop quand même), décor et intrigue. Ainsi sortent « Crystal Flame » et « Sweet Starfire » (1986) de Jayne Ann Krentz, puis l’inénarrable « Warrior’s Woman » (1990) de Johanna Lindsey. Et après, tout le monde suit. Du coup, depuis cette époque, le canon de la scène de sexe, s’est standardisé sur la romance, même chez des écrivains comme David Gemmell !

Enfin, une bonne partie de la bitlit est tout simplement de la romance déguisée, à commencer par "Twilight". Pourquoi ce glissement? Parce que ça fait moins nunuche pour une lectrice de dire qu'elle lit de la SFF que de dire qu'elle lit de la romance! Pour les scènes, on revient presque aux pulps machos des années 60-70, sans compter le pur porno. Confusion des genres? http://www.businessinsider.com/monster-porn-amazon-crackdown-sex-fantasy-bigfoot-2013-12

Comme je l’ai déjà dit au départ, malgré la quantité de scènes hot qu’on trouve dans certains récits, elles sont rarement originales. Le manuel d’éducation sexuelle pour couples mariés recommandé par ma paroisse serait sans doute plus croustillant, que ce soit pour les positions ou les explications techniques. À croire que les auteurs, ont mis un point d’honneur à NE PAS se documenter sur la question, surtout les américains.

Paradoxalement, le sexe en tant que symbole exprime rarement quelque chose de positif en fantasy. J’irais même jusqu'à dire en lit pop en général. Encore que je ne saurais donner un avis sur la littérature érotique, pour laquelle j’avoue humblement mon manque d’expérience ! Même en romance, les auteures prennent grand soin de minimiser son importance en insistant que ce qui compte, ce n’est pas le sexe, mais l’Amouour. Du coup, on se demande pourquoi elles ont pris la peine d’en mettre autant… Mais bon, c’est de la romance. Une première exception : le manga. Il doit y avoir une explication culturelle, sans doute, mais ça me dépasse. Une deuxième:la romance gay. Là, j’avoue que je n’ai pas d’explication claire. Une troisième exception: les romances vraiment anciennes genre Elinor Glyn ou Barbara Cartland. Vous l'auriez pas cru, hein? On dirait presque que moins c'est explicite, plus c'est positif. Ça demande une analyse psychanalytique en soi!

Alors si le sexe n’exprime pas quelque chose de positif, en lit pop moderne, qu’exprime-t-il? Bien souvent le danger. Des tartines ont été écrites sur Dracula et les vampires romantiques depuis « Twilight ». Dans nombre de romances modernes, l’héroïne passe encore beaucoup de temps à se demander si le héros ne va pas la violer (ou la manger en version vampire). Les autres significations symboliques sont, sans surprise, la confrontation et le rapport de force. Qui a dit "faites l'amour, pas la guerre"? En fantasy, c'est souvent la même chose.

 


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