La Diversité et l'intégration en Fantasy: faites ce qu'on dit, pas ce qu'on fait

Plus de 80 ans séparent ces deux photos de films de SF, mais le physique des personnages, surtout du personnage féminin n'a pas changé
Plus de 80 ans séparent ces deux photos de films de SF, mais le physique des personnages, surtout du personnage féminin n'a pas changé

Un écrivain, c'est censé être un intellectuel. Il est encore à la mode pour la plupart des auteurs de fantasy d'être plus ou moins "de gauche" de fustiger le système capitaliste, toujours injuste avec les artistes et de critiquer les clichés, le racisme et la discrimination. Et dans les romans de SFFF? Ils déplorent bien haut le manque de "diversité ethnique" comme diraient les anglo-saxons. Pourtant quand on parcourt les œuvres de la plupart de ces auteurs, on se dit qu'un électeur du FN pourrait les lire sans rougir: à l'exception des scènes de sexe (des plus conventionnelles) et de l'homosexualité, très à la mode en ce moment, les humains y sont représentés sous un jour des plus conservateur.

- D'abord, la plupart des romans d'urban fantasy ou de fantastique actuels, même d'auteurs francophones, se passent soit en France, soit aux US.

- Quand il s'agit de fantasy classique, ça se passe 3 fois sur 4 dans un univers qui ressemble fortement au Moyen-âge féodal de l'Ouest de l'Europe. Attention: pas de l'Est, ni du Nord, ni du Sud, mais bien de cette petite région du monde qui comprend, en gros, la France, l'Angleterre, l'Irlande, la Belgique, les Pays-Bas, une partie de l'Espagne et de l'Allemagne.

- Les héros ont des noms anglophones, ou bien de chez nous (exceptionnellement grecs, nordiques ou inventés).

- Que ce soit en SFFF anglo-saxonne ou française, combien de personnage principaux, ou même secondaires, "non-blancs" pouvez-vous citer sur les romans de ces dix dernières années? Je parie qu'il y en avait plus dans les années 60 aux États-Unis! En urban fantasy, vous pouvez avoir un personnage qui se transforme en animal exotique comme une panthère ou un jaguar, un vampire ancien soldat de la Guerre de Sécession, mais il resteront blancs, non, mais!

Or, pourquoi dans une société futuriste mondiale un perso s'appellerait-il forcément Connor ou Gérard et pas Bao, Rajiv, Saïd ou Thabo? Si vous écrivez un roman qui décrit le futur de l'Humanité, rappelez-vous qu'à l'échelle de la population mondiale, les "blancs" sont une minorité (et les blonds aux yeux bleus, on n'en parle même pas). D'ailleurs, si vous avez une société mondiale homogène, vieille de quelque siècles, cela veut dire que vous aurez eu un tel brassage de population que l'individu normal ne sera plus ni blanc, ni noir, ni jaune ni vert et sera incapable de se définir comme tel. Attention, dans cette société, il y aura peut-être d'autres "races" et surtout, d'autres castes!

Certains auteurs (surtout américains, comme d'hab') ont résolu le problème de façon radicale dans leurs romans: une catastrophe mondiale a eu lieu et, par le plus grand des hasards, les seuls survivants sont une poignée de WASP éduqués qui ont le monde pour eux tous seuls. On va faire la teuf entre potes! J'en ai déjà dit un mot ici.

En urban fantasy, si une jeune femme tombe sur un vampire affamé dans un lieu désert, sa réaction sera-t-elle différente si elle s'appelle Aïcha Ben Ahmed, Élodie Dupont ou Kate Smith? Dans les trois cas, elle prendra ses jambes à son cou, sauf si elle est une tueuse de vampire, mais ça, c'est un job, pas une origine ethnique. À moins que pour vous, tueur de vampire ne soit un emploi réservé à certaines ethnies. Il va vous falloir expliquer pourquoi... Perso, je verrais bien les habitants d'un petit village du fin fond de la Roumanie, mais ils ne risquent pas de s'appeler Élodie Dupont, ni même Kate Smith...

De même quand on regarde les professions des héros en urban fantasy, à part policier et les métiers surnaturels genre sorcier, ils ont des jobs des plus conventionnels. Les femmes exercent à 80% des professions "féminines", voire ne travaillent pas du tout et attendent de se marier. Quand elles sont lycéenne comme dans Twilight ou étudiante comme dans Chasseuse de la nuit, on n'a pas la moindre idée de ce qu'elles comptent faire comme métier! Les beaux ténébreux, vampires ou autres, ont d'ailleurs des opinions ultra-conservatrices et pas seulement sur les rapports entre les sexes: quand avez-vous vu un loup-garou parler de déforestation ou un vampire émettre un avis sur les dictatures qu'il a du voir passer à la louche dans sa longue existence?

Bref, on cherche l'évasion, on tombe sur un univers petit-bourgeois conventionnel qui a au moins vingt ans de retard sur le monde réel.

Enfin, quand les auteurs essayent de glisser des détails d'une autre civilisation, 9 fois sur 10, on tombe dans le cliché, par simple manque de documentation. La prochaine fois que vous voulez mettre en scène, disons du vaudou ou du chamanisme sibérien, essayez de vous documenter d'abord. Imaginez recevoir une lettre d'un lecteur réellement adepte du vaudou ou du chamanisme qui vous annonce que votre description, c'est du carton-pâte!

"Mais si j'ai carrément un héros noir, mon roman ne va pas se vendre!" me direz-vous. C'est là qu'il va falloir définir pourquoi vous écrivez. Pour vous faire des sous? Pour exprimer vos opinions? Éduquer le lecteur? Vous faire plaisir? Suivre la mode?

Deuxième réponse, tout aussi classique: "on n'écrit bien que sur ce qu'on connaît". Certes. Vous connaissez beaucoup de vampires, vous? Vous n'avez jamais voyagé plus loin que Barcelone, mais votre histoire se passe dans une petite ville américaine? Vous êtes une femme hétérosexuelle, mais votre intrigue contient une romance gay avec des scènes torrides? Vous vivez au 21ème siècle, mais votre histoire se passe au Moyen-âge? Vous avez déjà porté une armure? Participé à un combat à mort à l'épée? Atterri sur Mars? Bref, voilà la réponse la plus lamentable que l'on puisse donner quand on est auteur de SFFF.

Finalement, on se trouve face à un paradoxe: des auteurs qui déplorent tout haut le manque de diversité et l'abondance de clichés, mais en pratique, continuent à perpétuer cet état de fait. Qui aura le courage de ses opinions?

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Comments: 9
  • #1

    Luce (Friday, 20 January 2017 16:52)

    100% d'accord !

  • #2

    Daladya (Friday, 20 January 2017 17:20)

    Ravis de voir des gens objectifs, ça donne de l'espoir.
    Personnellement, même si j'ai pour but de publier mon roman à l'avenir, je m'en fou et j'ose. J'ose déjà avoir un personnage principal féminin, qui est rare lorsqu'il est crédible et pas remplit de clichés, ainsi que toutes sortes d'ethnies fictives ou réelles.
    L'avantage de la fantasy, et encore plus de l'héroic-fantasy, c'est justement que l'on est libre !
    Libre de créer de A à Z un continent, des langues, des chronologies, des races, etc etc...Donc personnages féminins forts, bi-sexuel, reine noire, asiatiques, et j'en passe. Et j'adore.
    Le monde est beau grâce à sa pluralité, sa diversité.
    Il ne faut pas gâcher cette chance.

  • #3

    Cécile RA (Saturday, 21 January 2017 11:25)

    Avez-vous lu la série "Anita Blake, tueuse de vampire" ? Si vous voulez de la diversité, des vampires réalistes qui ont contrôlé le monde à leur façon ou bien des vampires australopithèques, noirs, une héroïne américaine mais d'origine espagnole, des lycanthropes de toutes races et toutes couleurs.... et des belles scènes de sexe hétéro, gay, à plusieurs etc...

  • #4

    Alex Evans (Saturday, 21 January 2017 12:34)

    Effectivement, les Anita Blake sont intéressants non seulement pour ça, mais parce qu'ils posent réellement la question de ce qui se passerait réellement s'il y avait des créatures magiques de façon officielle dans notre société. Seulement le premier est paru en... 1993. Depuis, les romans d'urban fantasy ont sacrément fait marche arrière, en particulier grâce à Twilight!

  • #5

    Rom1 (Sunday, 22 January 2017 13:17)

    "D'abord, la plupart des romans d'urban fantasy ou de fantastique actuels, même d'auteurs francophones, se passent soit en France, soit aux US."

    - J'en connais un (deux même et bientôt trois) qui se déroule(nt) à Hong Kong et dont tous les protagonistes sont chinois. :)

  • #6

    Chiffon (Sunday, 22 January 2017 13:39)

    La diversité en Fantasy existe mais elle est de fait, rare. Je vois trois séries (que j'aime beaucoup) qui rompent avec les poncifs classiques (avec brio) :
    La Compagnie Noire, qui fait la part belle aux personnages féminins très forts (jusqu'à pousser le vice en ayant des protagonistes influents presqu'exclusivement féminins dans un des livres) et pas mal d'autochtones non blancs (soit noirs, soit typés indiens, prénoms compris). Le résultat est une fresque très riche et très dense (et ça n'est pas mon cycle de Fantasy préféré de tous les temps pour rien).
    Dans les grands classiques, la Trilogie de L'Empire, de Feist (probablement sa meilleure série, avec Janny Wurst) est à la fois dans un monde typé Japon féodal, et à la fois avec un personnage principal féminin (et plusieurs autres personnages féminins, même si pas majoritaires). Et encore une fois, une héroïne qui n'est pas que défini en fonction de ses relations avec les hommes, ce qui est appréciable.
    Enfin, Ellana/Ewilan, de Bottero ; plus typé jeunesse, mais intéressants cycles, et j'ai pas l'impression que ça ait nui aux ventes... c'est peut-être même l'inverse, vu que ça permettait de toucher autre chose que le jeune lecteur blanc (que j'étais, et même pour moi une héroïne apportait beaucoup plus qu'un héros, je trouve) ! (Une héroïne forte et un son ami d'enfance/amoureux noir.. même si le reste des personnages est un peu plus convenu.)

    Quand la diversité est bien traitée, ça ajoute bien souvent une profondeur supplémentaire à l'histoire (et même quand c'est secondaire de prime abord), mais il reste du boulot à abattre pour que ça devienne "normal" d'en voir plus.

  • #7

    Alex Evans (Sunday, 22 January 2017 20:14)

    @Rom1: j'en connais même qui se passent en Inde ou au Japon (The Immortals of Meluha, The Mahabarata Secrets, The fated Blades), mais c'est parce que je les cherche avec une lampe-torche et en plein jour...
    @Chiffon: tout ça c'est bien vrai, sauf que les livres que tu cites ont au moins 10 ans et restent minoritaires!

  • #8

    Ten (Monday, 22 January 2018 11:37)

    Vous avez repris mon argument à la fin : on n'écrit que ce l'on connait. Et vous contrez vous même les arguments que vous donnez contre cet argument :
    "Enfin, quand les auteurs essayent de glisser des détails d'une autre civilisation, 9 fois sur 10, on tombe dans le cliché, par simple manque de documentation."

    Perso, j'ai pas 15 ans à passer sur une civilisation que je ne connais pas. Le vampire, le "Moyen-Âge", les armures etc, il est facile d'inventer : les vampires ca n'existe pas, le moyen-âge n'est qu'une simili copie, les armures, bon sang, avec un peu de magie, et quelques justifications, on peut tout faire. Par contre aller mettre les pieds dans les contes et légendes de civilisations dont on ne connait rien. À moins de vouloir se faire lyncher en place public, peu de monde s'y lancera.

    Quand à votre argument fallacieux sur la raison pour laquelle on écrit, il me fait bien rire. Vous ne lisez que des romans écrits pour être vendu. Sinon, ils ne seraient pas là :) Après, j'en sais rien si c'est effectivement un argument de vente, et j'avoue n'en avoir rien à faire car je ne publie pas. Mais oui, vous ne voyez que de l'Europe de l'ouest ou des USA, parce que c'est de là que viennent les auteurs. Déjà écrire sur une ville quand on est à la campagne est une sinécure, je n'ose imaginer écrire sur une civilisation dont on ne sait rien. Ou alors on y va les mains libres et on massacre tout, ne gardant que ce que l'on veut, inventant tout le reste. Je l'ai fait avec une civilisation Nordique. Mais y'a plus de viking pour me dire que j'ai tord :)
    Vous voulez plus d'histoires sur l'Afrique et l'Amérique du sud ? Commencez par enseigner leur Histoire à l'école, et je n'entends pas par là la découverte de l'Amérique et la colonisation africaine. Donnez de la matière aux écrivains du futur. Ce n'est que comme cela que vous changerez les choses. Certainement pas en disant à ceux qui prennent la peine de vous divertir, souvent gratuitement, que ce sont des je-m'en-foutiste, sexiste, raciste qui ne se foulent pas le poignée pour trouver des idées et changer les choses. Écrire une histoire, même sans la faire éditer, c'est des mois de travail, et ce, même lorsque l'on est dans un monde fantasy, où vous n'avez rien à rechercher. Écrire en monde réel, sur une civilisation que l'on connait, c'est probablement quelques mois de plus, parce que vous avez besoin de trouver des lieux, des horaires, des actualités, etc. Écrire sur une civilisation que l'on ne connait pas, c'est quasiment le travail d'une vie, ou du moins des dizaines d'années : apprendre leur Histoire et surtout leurs histoires, s’imprégner de leur légende et broder là-dessus. Écrire sur ce monde est l'honneur de ceux qui ont grandi dedans, pas des écrivains ayant grandi sur les bancs de l'école française.

  • #9

    Liadan (Monday, 11 January 2021 23:58)

    Y a vraiment des auteurs qui disent qu'un roman se vendra moins bien si le personnage principal est noir ?
    Bon, personnellement, moi, j'avais instinctivement tendance à ne créer que des personnages de type occidentaux, mais je me suis dit que je devrais essayer d'autres ethnies. Du coup, je me suis découvert une passion pour la culture hindou et amérindienne. Je suis moins fan des cultures japonaises ou chinoises, même si j'aimerai bien créer un personnage de cette ethnie. Et là, mon personnage principal est née d'une mère de type occidental et d'un père noir. Par contre, je sais pas exactement comme trouver le moyen de donner la couleur de peau. Parce qu'à chaque fois, je me demande si on va pas me dire que c'est raciste de dire "noir"...