La Réalité est irréaliste

The Dark Knight
The Dark Knight

Prenons l’exemple archi-rabattu de la princesse de fantasy : elle est soit un vase fragile dans son donjon, protégée par le héros soit « une féministe tentant de se frayer un chemin dans un monde d’hommes », les princesses sont toujours jolies et fades (oui, même si elles sont « fortes » et « n’ont pas leur langue dans leur poche »). Alors qu’en vrai…

Pourquoi je parle toujours de la réalité ? La fantasy, c’est de la fiction, bordel ! Un univers purement imaginaire où on a la liberté d’inventer ce qu’on veut ! Oui, mais alors pourquoi 90% des princesses de fantasy sont jolies et tiennent le rôle des vases fragiles ou de « féministes tentant de se frayer un chemin dans un monde d’homme » ? Pourquoi tous les auteurs de fantasy inventent-ils grosse modo le même perso ? Et ne parlez pas d’archétype ici, ce n’en est pas un : les princesses n’existaient pas dans toutes les cultures, ni les princesses-vase et encore moins les princesses féministes. Bref, que toutes les princesse imaginaires se ressemblent, c’est un peu paradoxal, non, pour des œuvres imaginaires ? C’est d’autant plus contradictoire que l’on s’attend, en fantasy, à des persos un peu plus grands que nature. Alors si vos princesses de fantasy sont plus nunuches qu’en vrai (je ferais un article sur les clichés cachés des princesses plus tard), on est un peu déçu…

Il y a pire et beaucoup plus grave : l’autre jour, j’entamais un roman de SFF récent qui commençait par une scène que j’avais déjà lue plusieurs fois en diverses versions : l’héroïne, une gamine d’une douzaine d’années, trouvait toute sa famille et son village massacrés par les troupes ennemies. Le même jour, malade et traumatisée, elle était recueillie par un mystérieux étranger connecté avec ses ennemis et se lançait avec lui dans un grand débat philosophique sur la Différence, la Violence etc… Et là, désolée, ce bouquin plein de bonnes intentions m’est tombé des mains.

Sérieusement, vous croyez qu’une gamine qui vient de voir les cadavres fraîchement tués de ses parents et ses frères et sœurs va vous faire même un petit débat philosophique ? Ben peut-être que vous le croyez réellement. Ça s’appelle en anglais « Reality is Unrealistic » avec comme tropes accessoires « The Coconut Effect » et « Your Costume Needs Work ».

On entend régulièrement les flics se plaindre que les gens s’imaginent que le système judiciaire français fonctionne comme aux US, à force de regarder les séries TV.

Bien sûr, cette confusion entre la fiction et la réalité n'est pas nouvelle. Elle a déjà été décrite chez Don Quichotte et Madame Bovary. Mais au moins, ces deux personnages étaient perçus comme anormaux par leur lecteurs. Maintenant, ce sont des classiques de la littérature et des personnages perçus comme plutôt positifs!

De plus, la culture de masse et la TV ont donné des proportions astronomiques à ce phénomène. Comme d'hab', les romans "pour filles" contiennent plus d'invraisemblances que les romans "pour garçons", simplement parce qu'on s'y étale plus sur les sentiments, justement. Si le roman a la prétention de traiter des thèmes sérieux et ne pas être satirique, ces sentiments en carton-pâte lui font perdre toute sa force. Ça conforte certainement les critiques de la SFF dans leur opinion que c'est un genre littéraire pour individus débiles.

Pour en revenir aux émotions, votre gamine rescapée d’un massacre ne va pas forcément non plus éclater en sanglots et aller se taper la tête contre les murs. Il y a de bonnes chances pour qu’elle ne dise rien du tout. Les grandes douleurs sont muettes, comme on dit, et pas très spectaculaires. Dommage pour un roman, à fortiori un roman plein de bonnes intentions. Le problème, c’est quand vous vous attendez à des réactions de roman populaire dans la vie réelle : non, la femme violée ne va pas forcément éclater en sanglots, encore moins se lancer dans un grand discours sur les violences faites aux femmes. Non, le gars qui vient de perdre sa famille dans un accident sera incapable de donner un rapport détaillé à la police, avec les horaires et la description des témoins, avant de remplir une douzaine de formulaires d’assurance et de sécu. Ni sur le coup, ni peut-être une semaine plus tard. On est dans la réalité !

Maintenant, ça pose régulièrement un problème pour les gens qui comme moi essayent d'avoir des perso aux réactions réalistes dans un roman de fantasy: je m'entends dire que mes persos ne sont pas crédibles!


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