Fantasy ou romance?

"I get my heroes so that they're lean and hard muscled and mocking and sardonic and tough and tigerish and single, of course. Oh and they've got to be rich and then I make it that they're only cynical and smooth on the surface. But underneath they're well, you know, sort of lost and lonely. In need of love but, when roused, capable of breathtaking passion and potency. Most of my heroes, well all of them really, are like that. They frighten but fascinate. They must be the sort of men who are capable of rape: men it's dangerous to be alone in the room with."

Violet Winspear, 1970

 

" Je fais mes héros de telle façon qu'ils soient minces et musclés et moqueurs et sardoniques et durs et sauvages et célibataires, bien sûr. Ah, oui et ils doivent être riches et puis, je fais qu'ils soient seulement lisses et cyniques en surface. Mais en dessous, ils sont... comment dire... perdus et seuls. Ils ont besoin d'affection, mais lorsqu'ils sont stimulés ils sont capables d'une incroyable passion et puissance. La plupart de mes héros, en fait tous, sont comme ça. Ils effraient mais fascinent. Ils doivent être le genre d'homme capable de viol. Le genre d'homme avec lequel il est dangereux de rester seule. "

Violet Winspear, 1970

 

 

Que ce soient les vampires ou la romance, j’avoue que c'est pas mon truc. Moi, je suis une incurable romantique. Cependant, il faut quand même suivre les tendances du marché (oui, pour le coup, c'est pas romantique, mais commercial). Donc, je me suis avalée une dizaine de romans de bitlit récents saupoudrés de quelques romances anglosaxonnes. Au passage, je me suis rendue compte que certaines idées que j’avais mises dans mes histoires avaient déjà été développées avant, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, même en SFF!

Ce qui m’a frappée, c’est l’influence de la romance, non seulement sur la bitlit, mais sur toute la fantasy en général depuis 20 ans. Attention, je n'ai pas dit "littérature féminine" mais bien "romance".

On dit toujours que c'est un genre pas sérieux, des fantasmes de bonne femme etc... Oui, seulement un genre qui est lu par des millions d'individus à travers le monde, voire a formaté les fantasmes féminins depuis quelques générations, mérite au minimum une douzaine d'études sérieuses et approfondies. C’est un peu comme McDonald’s qui a été analysé par de nombreux économistes : au fil des années, il est devenu partie intégrale de notre quotidien, pour le meilleur et pour le pire.

La romance a envahi la fantasy au début des années 90, lorsque les femmes sont justement arrivées en masse comme lectrices ou auteures, comme je l'explique à la fin de cet article ici. Je soupçonne que nombres d'auteures de fantasy ont fait leurs premières armes en romance sous un pseudo quelconque. Comme d'habitude chez les pionniers, les premiers ouvrages de romance SFF étaient d'un niveau très élevé par rapport au reste de la romance, cf. la trilogie de St Helen de Jayne Ann Krentz. Maintenant, ce mélange a perdu ce qu’il avait d’original et s’est retrouvé noyé dans les clichés.

La romance à l’anglosaxonne a une forme très rigide et des tropes auxquelles les lectrices tiennent beaucoup: elles ont horreur des surprises. La fantasy, elle, a une structure beaucoup plus souple, mais l’une des formules favorites reste le parcours du héros (si vous ne savez pas ce que c'est, je vous conseille de lire une douzaine de contes de Grimm, plutôt qu'un bouquin académique genre Campbell, ce sera beaucoup plus parlant, moins cher et plus court).

La romance et le parcours du héros (ou plutôt de l’héroïne) ne sont pas incompatibles. La preuve, elles fonctionnaient parfaitement bien ensemble jusqu’aux années 50 (oui, les romances sirupeuses, style Barbara Cartland, je ferais un article sur le parcours de l’héroïne plus tard).

Par contre, la romance et la bitlit à la mode actuellement ont un gros problème avec le parcours de l’héroïne: là où dans le "parcours du héros" elle devrait rencontrer le mentor ou l’antagoniste/méchant, elle rencontre son prince charmant. Au contraire, le vrai méchant de l’histoire, est à peine esquissé, un méchant d’opérette. En passant, on se demande quel genre de message symbolique ça envoie: c'est quoi, un méchant, au fond?

En plus, dans ces récits on insiste bien sur le coté effrayant du prince (c’est un vampire, démon… au caractère épouvantable etc… et ses intérêts sont opposés à ceux de l’héroïne). Il a aussi plus de connaissance que l’héroïne (genre, il a 500 ans de plus). Bref, le prince charmant tient à la fois le rôle d'antagoniste et de mentor, comme dans Twilight (ou 50 nuances de Gris, dans un autre style). Imaginez un personnage qui serait à la fois Dumbledore, Voldemort et Ginny dans Harry Potter. Impensable dans un roman d'apprentissage! Et ben en romance et de plus en plus, en fantasy, malheureusement, on le fait tous les jours.

Je suis sûre que la plupart des auteures reproduisent cette structure sans même réfléchir dessus, comme une recette de cuisine. Cependant, n'imaginez pas qu'elle soit le fruit du hasard. Les premiers à s'en servir furent des auteurs de blanche aussi vénérables que Richardson dans les "Malheurs de Paméla" (1740) ou Charlotte Bronté dans "Jane Eyre " (1847). Tous les deux avaient VOLONTAIREMENT choisi un personnage de prince charmant/méchant combiné, manipulateur, agressif et sadique, qui fait encore froid dans le dos en ce début de 21ème siècle. J'ajoute que l'héroïne s'en tire sans lui, voire le sauve, ce qui change des romances modernes. Peut-être est-on en train de faire marche arrière, après tout.

Pour en revenir à la fantasy/romance, si l'on veut suivre la logique du « parcours du héros », dans ce genre d’histoire, l’héroïne devrait tuer son prince charmant à la fin, ou le vaincre d’une façon ou d’une autre. En pratique, c’est le prince charmant qui la sauve d’un méchant d’opérette. L’héroïne ne sort pas grandie de l’épreuve, comme c’est le cas dans le "parcours du héros", mais amoureuse et sous la protection de son copain.

Pour ceux qui me citeraient une vénérable référence comme « La Belle et la bête », je rappelle que:

- C’est une « romance fantasy » littéraire du 18ème siècle de Mme Leprince de Beaumont, très différente des versions populaires

- il y a malgré tout, un parcours du héros

- Et surtout, dans toutes les versions traditionnelles, la « Bête » est laid comme un pou, pas beau comme un dieu. Il inspire une réelle répulsion à l’héroïne et doit faire un gros effort de séduction, pas juste apparaître et rouler des muscles!

Enfin, il y a actuellement de la surenchère dans le coté effrayant du Prince : vampires de plus en plus saignants, démons, métamorphes de dragon, on ne sait plus quoi inventer. En romance « réaliste », on voit arriver des gangsters, des trafiquants de drogue et bien sur, des amateurs de sadomasochisme, voire des psychopates qui séquestrent et torturent l'héroïne. Je ne serais pas surprise de voir apparaître des officiers SS dans quelques années. J’y ai déjà vu des références à peine voilées en romance gay, donc, ce n’est qu’une question de temps. Il se développe même un genre particulier: la "Dark Romance".

Pourquoi j'ai parlé autant de la structure du récit? C'est simple: si je tombe sur le prince charmant là où on devrait rencontrer le mentor ou le méchant, je sais que je vais avoir droit à une romance, une histoire prévisible. Il y a de fortes chances pour que je pose le bouquin sans le finir. Et ça, c'est moi. Si à ma place, vous avez un garçon, non seulement il va laisser tomber, mais il risque d'aller raconter à ses copains que c'est un roman nunuche pour filles. Bref, vous avez déjà sélectionné votre lectorat.D'où, au passage, l'importance de soigner les premières pages de votre récit.

Moralité : si vous écrivez de la romance, assumez-le. Ne prétendez pas écrire de la fantasy. Si vous écrivez de la fantasy, évitez d'utiliser une structure de romance. C'est injuste, je sais, ce n'est qu'une question de conventions, mais la vie est injuste, non?

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