Architecte ou jardinier?

George RR Martin a écrit :

 

    J’ai toujours clamé haut et fort qu’il existe deux sortes d’auteurs. En simplifiant, il y a les architectes et les jardiniers. Les architectes créent des plans avant même d’enfoncer le premier clou, ils conçoivent toute la maison : l’emplacement des tuyaux et le nombre de chambres, la hauteur du toit. Ils ont tout prévu, contrairement aux jardiniers, lesquels estiment qu’il suffit de creuser un trou et semer la graine pour voir ce qui arrive.

 

Ma première observation, c’est que ce grand auteur ne connaît rien au jardinage.  Pour continuer dans le parallèle de ces deux professions, je rappelle qu’un jardinier doit planifier où il va planter ses graines, préparer le sol et anticiper ou s’adapter à une série d’impondérables : trop de pluie ou pas assez, pas de soleil, une invasion de pucerons… Il doit revenir régulièrement arroser, enlever les mauvaises herbes…  bref, il travaille tout autant que l’architecte, mais contrairement à ce dernier, il est capable de supporter l’idée qu’il ne contrôle pas tout. 

 

De nos jours on privilégie beaucoup les architectes. Pourquoi ? Parce que la méthode « architecte » semble, de premier abord, plus facile et surtout, reproductible. On peut écrire des livres de recette pour romans et les commercialiser, on peut faire des cours d’écriture standardisés, bref, ça peut rapporter de l’argent à certains et permettre de fabriquer de façon quasi industrielle des romans calibrés selon une certaine norme, vite avalés, vite oubliés. Ce n'est finalement pas pour rien que l'auteur Marc Dawson aligne le prix des siens sur celui d'un café chez Starbuck, comme je l'ai dit dans mon billet précédent.

 

Les pages d’Amazon US grouillent d’ouvrages sur cette technique d’écriture, les éléments du parcours du héros etc… Pourtant, avec tous ces manuels, a-t-on proportionnellement plus de bons bouquins qu’il y a 30 ans, même parmi les « romans de gare » ?

 

La technique « architecte » est privilégiée par les gens formés au scénario de cinéma, comme GRRM (et heureusement, il n’applique pas le scénario hollywoodien  bateau à ses bouquins…). En effet, un film, ça a une certaine durée, un certain nombre d’acteurs et du personnel technique à payer et des décors qui doivent être budgétés. Dans ces conditions, il est normal de prévoir que le film va durer 1h 49min et qu’à la 11ème minute exactement, le héros aura sa première confrontation avec le méchant.

 

Mais le livre, lui, est un format totalement différent. Pourquoi cette première confrontation devrait-elle avoir lieu exactement à la 30ème page ? Ou alors, prévoyez-vous un roman au temps de lecture calibré, comme les Harlequins ?

 

 Perso, je ne suis pas du tout du genre architecte. Dans mon job « civil », je suis contrainte de faire preuve d’une grande précision, aussi  j’apprécie cet espace de liberté, de fantaisie et d’imprévu qu’est l’écriture. Il ne me viendrait pas à l’esprit de dessiner une carte au 1/200 000ème de mes mondes imaginaires. Il suffit qu’ils soient cohérents avec ce que j’écris. Et si je visualise complètement mes scènes avant de les écrire, je ne vois pas l’intérêt de connaitre au centimètre près la dimension des murs et des meubles du décor (je ne connais pas celles de mon propre domicile, alors pourquoi le ferais-je dans un monde imaginaire ?).

 

C’est aussi vrai dans la construction de l’intrigue. Les miennes ont généralement un parcours du héros parfaitement classique. Cependant, je ne me suis jamais demandé à quel moment de l’histoire le protagoniste devait rencontrer le méchant. Ça coule de source de la logique interne du récit. Dans les Murailles de Gandarès, il ne le rencontre en personne que dans les dernières pages. S’il l’avait fait au début, l’histoire aurait été beaucoup moins intéressante. Bref, pour moi, un évènement doit se passer au moment le plus approprié. Aha ! Mais justement, cela vous oblige à réfléchir : où se situe ce moment le plus approprié ? Ce n’est pas marqué dans les livres de recettes !  Ça vous oblige à utiliser non seulement votre matière grise, au lieu de suivre un mode d’emploi, mais aussi une fonction de votre cerveau d’écrivain qui semble totalement oubliée dans les manuels d’écriture moderne : votre imagination.

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