Spécial Halloween: histoire de la magie 1

La Nature est un temple où de vivants piliers

 

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

 

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

 

Qui l'observent avec des regards familiers.

 

Charles Baudelaire

 

 

 

Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie

 

Arthur C Clarke

 

 

 

Voilà un sujet très coton en fantasy, même si on s’en sert tout le temps. Systèmes magiques divers, baguettes, potions, talismans, écoles de magie… Sans compter un peu de psychanalyse par-dessus! Mais savez-vous ce qu’était la magie, la vraie, telle que la concevaient nos ancêtres ?

 

En français, le mot « magie » dérive de la racine indoeuropéenne « magh » : :pourvoir, à comparer avec might en anglais (force, puissance, pouvoir) et moch’ en russe (même sens). C'est d'ailleurs pour ça que j'ai appelé la magie « Pouvoir » dans mes romans (en plus, « Force » était déjà pris...). Cette racine donna aussi le mot "machine": tout un programme quand on écrit du steampunk!

 

Pour un homme préhistorique, tout dépassait sa compréhension : la conception d’un enfant, la mort, la nuit, le jour… Tout au plus, observait-il une certaine prédictibilité, des associations, des relations: le jour et la nuit se succédaient, les étoiles changeaient de place au rythme des saisons, manger certains champignons était suivi de mort… Cependant, il fallait bien cataloguer tout ça, trouver des rapports de cause à effet… Et on commence à en établir certains : frapper deux silex d’une certaine façon donne des étincelles, un accouplement chez l’animal est suivi d’un bébé un peu plus tard. Cependant, il y a plein de place pour des erreurs. C’est là qu’intervient la « pensée magique »: attribuer un rapport de cause à effet à une coïncidence (un truc encore fréquent en statistiques modernes, surtout si vous lisez leur interprétation dans les journaux grand public !). Si un corbeau (un oiseau qui mange des cadavres, entre autres) s’est posé sur le toit d’une maison et que le lendemain le propriétaire est tombé d’un arbre et en est mort, c’est le corbeau qui a provoqué la mort, pas un accident. Pire, si vous avez simplement pensé que vous aimeriez voir quelqu’un mort et qu’il meurt, c’est votre pensée qui a provoqué son décès ! Ou alors, le défunt avait offensé quelque divinité en étant pingre dans ses offrandes et celle-ci s’était vengée de manière radicale. Cela explique aussi pourquoi les rituels et formules magiques jusqu’à nos jours, gardent souvent des éléments de prières, incluent les noms de saints, diables, dieux, étoiles, plantes, etc… et requièrent des plantes, substances ou objets : il s’agissait à l’origine d’invocations à des divinités. On leur demandait un service. Et un service n’étant jamais gratuit, on lui faisait une offrande : plante, fruit, œuf, gâteau, encens, flamme d’une bougie…

 

Ainsi, tout évènement, de préférence désagréable, avait potentiellement une origine surnaturelle. Par-dessus, s’ajoutait bien sur la question de savoir si vous étiez d’une nature angoissée ou si vous aviez assez de sang-froid pour attribuer la chute d’un arbre à un accident du à un simple faux mouvement. Pas étonnant dans ces conditions, que nos ancêtres voyaient du surnaturel partout : la conception d’un enfant, le passage de la vie à la mort, la pluie et le beau temps, les rêves… Farfadets, lutins, esprits domestiques qui vivaient dans la maison... La magie faisait partie du quotidien de tous les instants. On ne disait pas "Va au Diable!", à la légère. De quoi se sentir un peu parano!

 

Bref, pour un individu du Néolithique ou du début de l'Antiquité, il n'y avait aucune différence entre magie et science ou entre magie et religion: tout au plus, y avait-il une gradation entre ce qui pouvait être réalisé par le citoyen ordinaire (fermenter de la bière, invoquer les ancêtres...), le sorcier du village (fabriquer des talismans pour citoyens ordinaires, soigner les maladies, prédire les destins individuels, interpréter les présages locaux...) et le prêtre du grand dieu de la grande ville ( fabriquer des talismans pour les rois, prédire des destins ou des évènements d'intérêt national comme les crues du Nil…). Il n’y avait pas non plus d’obstacle à ce qu’un prêtre s’occupe de science : il se devait de connaitre le monde pour comprendre les dieux et leurs actions.

Pour rendre les choses encore plus « pratiques », de nombreux phénomènes naturels vont être représentés sous la forme d’un dieu : le Nil, mais aussi les maladies, la mort…  La magie elle-même aura son dieu chez les Égyptiens: Héka.

 

Statuette du dieu Héka, Musée du Louvre.
Statuette du dieu Héka, Musée du Louvre.

Cependant, même les "professionnels de la magie" vont commencer à faire une distinction entre problèmes matériels (genre une jambe cassé qui a besoin d'une réduction et d'une paire d'attelles) et problèmes « magiques » (genre une épidémie de peste). Ils vont déléguer les problèmes matériels et magiques « mineurs » à des laïcs (scribes, ingénieurs, savants…) et garder pour eux les problèmes magiques « majeurs » et religieux.

 

La magie avait essentiellement deux usages pour le citoyen ordinaire :

 

- Pratique : soigner les maladies humaines et animales, s’assurer d’une bonne récolte, éliminer les concurrents…

 

- Maîtriser le hasard et l’imprévisible. Mais, le hasard peut-il être maitrisé ? D’abord, pour les gens de l’époque, le hasard n’existait pas : tout évènement désagréable était lié à quelque activité magique, une malédiction, une divinité offensée, des esprits mauvais etc… La guerre entre Pandouides et Kourouïdes dans le Mahabarata ne commence-t-elle pas par une partie de dés (pipés)? Bref, on dépensait pas mal d’énergie et d’argent pour se prémunir du « mauvais sort » ou pour deviner l'avenir. D’ailleurs à l'origine, un « sorcier » était un devin!

 

Si superficiellement, on a l’impression que la magie des Égyptiens, était différente de celle des Mésopotamiens ou des Grecs, par exemple, les principes utilisés étaient les mêmes : divination, invocations des divinités ou des morts, sous forme de phrases, poèmes ou chansons, le tout accompagné d’offrandes (rien n’est gratuit). On utilisait des artéfacts magiques comme des baguettes (déjà). On fabriquait aussi des potions, ou des crèmes, des amulettes ou des talismans. La composition des potions et amulettes variait d’une culture à l’autre (on ne trouve pas de crottes d’hippopotame en Mésopotamie, par exemple) mais les principes généraux restaient les mêmes. Tous ces rituels n'avaient pas seulement pour but d'agir sur l'environnement pour un résultat concret, comme avoir de bonnes récoltes, mais aussi pour se protéger (des maladies, des malédictions, de la malchance…). Certains devaient même être répétés à intervalle régulier, un peu comme une vaccination!

 

Enfin, ces rituels n'étaient pas seulement faits pour les particuliers, mais pour l'État: rituels d'exécration des démons et diverses divinités maléfiques comme Seth en Égypte, mais aussi des fauteurs de troubles,  et des ennemis bien réels auxquels on souhaitait famines et épidémies. En plus, parfois, ça avait l'air de marcher!

 

 

Au fait, connaissez-vous la différence entre une amulette et un talisman ? Ben moi non plus, car les avis divergent. En général, on considère qu’un talisman est un objet plus élaboré, possédant de plus grands pouvoirs (et surtout beaucoup plus cher…) qu’une amulette. Les talismans contenaient souvent des textes, alors que les amulettes se contentaient d’être des assemblages de diverses substances (parfois très chères !). Le talisman pouvait avoir des pouvoirs actifs, par exemple vous faire concevoir un enfant, alors qu’une amulette avait essentiellement un pouvoir de protection (contre la maladie, la malchance, le mauvais œil…). Mais tout ça, c’est relatif. Simplement en langage moderne, un talisman, ça fait plus classe qu’une amulette ! Enfin, contrairement à la plupart des romans de fantasy, nombre de ces objets magiques n'étaient pas destinés à être portés, mais à être placés à des endroits stratégiques comme le seuil d'une maison ou un champ.  

 

Et la magie des Celtes, Germains, Basques et autres Slaves, pendant ce temps ? Ben de nombreuses techniques étaient similaires, avec une grande différence : il n’y avait pas de langue écrite. Les prières et rituels, les formules des potions devaient être entièrement apprises par cœur. On ne pouvait pas non plus rédiger de texte magique à porter sur soi ou boire en potion. Il y avait peut-être aussi un contact beaucoup plus "direct" avec les divinités par l’intermédiaire de transes et de visions.

 

Il semblerait que les premiers à imaginer une séparation claire entre "naturel" et "surnaturel" en Occident, aient été les Grecs de la période classique. Par exemple, Hippocrate, voulut différentier les médecins, dont les traitements se basaient sur des observations, des magiciens qui pour lui étaient de simples charlatans et dont le traitement se basait sur la magie. Cela ne l’empêcha pas de donner à certaines maladies des causes qui pour nous relèvent de la superstition la plus basique! La route vers le "tout rationnel" était encore longue…

 

Cependant, on avait maintenant une nouvelle idée : les phénomènes naturels peuvent être examinés, soumis à des expérimentations, voire avoir un intérêt pratique. De plus, il n’est pas nécessaire d’être prêtre pour les étudier.

 

Par ailleurs, si en Égypte ou en Mésopotamie, la magie était plutôt "institutionnalisée" dans les temples, voire gratuite, en Grèce, pays du commerce, d’une certaine liberté individuelle et de la libre entreprise, elle va devenir un business privé, séparé de la religion et de la science. Oui, ça rappelle Jarta et les Sorcières associées, tout ça pour dire que la réalité a dépassé la fiction il y a longtemps ! Et juste comme dans Sorcières associées, la magie va tomber sous le coup de la loi: certaines pratiques seront interdites d'une cité à une autre.

 

 

Au fait, savez-vous qu’à l’origine, le mot « démon » était un mot grec ? Il désignait toute créature magique ou divinité mineure, sans aucune considération de moralité. Aussi certains « démons » étaient-ils couramment invoqués lors de rituels magiques. 

 

 

Même si la magie va devenir un business florissant, elle aura mauvaise presse, à lire les écrit des intellectuels de l'époque. Tout d'abord, il semblerait que nombre de praticiens étaient des femmes, dans une société notoirement misogyne. Ensuite, beaucoup de techniques  étaient "importées" d'Égypte ou de Perse, deux pays avec lesquels les Grecs avaient des relations compliquées. Nombre de rituels nécessitaient d’écrire votre demande sur une « tablette d’invocation » et l’enterrer avec un cadavre frais afin qu’il la transmette directement aux autorités de l’Au-Delà. Or, les Grecs, contrairement aux Égyptiens, trouvaient les morts et tout ce qui s’y rapportait comme impur. Enfin, le magicien semble "obliger" une divinité à accéder à sa demande, alors qu'un humain se doit de se soumettre humblement à la volonté des dieux.

 

Surtout, l'écrasante majorité des sorts tombaient dans deux catégories: soit envoûter une femme pour s'attirer son amour ou son désir sexuel, soit  tuer un rival, aussi bien en amour qu'en business ou en politique. On a retrouvé des quantités industrielles de "tablettes de malédiction" en plomb et de statuettes percées de clous ou d'épingles (non, ce n'est pas une invention vaudoue).

 

 

https://sensdesign.hypotheses.org/186

 

Bref, la magie privée avait révélé les aspects les plus sordides de la nature humaine.

Une magie sacrilège, pratiquée à des fins immorales et par des charlatans. Ça ne vous rappelle rien? Ben c'est la vision qu'on aura de la magie au Moyen-âge et après. Elle n'a pas été inventée par le Christianisme.

Write a comment

Comments: 0