Radotages 1 : o tempores o mores et indignations chroniques

Le temps de deux posts, je vais faire un truc que je n’ai jamais fait sur ce blog. Je vais radoter. Oui, vous avez bien lu. Je vais radoter, évoquer mes souvenirs et donner mon avis totalement subjectif, non autorisé et non filtré sur tout un tas de sujets qui me cassent les oreilles depuis plus d’un an. Chevaliers errants en quête de polémique, passez votre chemin, j’ai désactivé les commentaires. C’est mon blog, non mais !

 

Le Covid 19 a éprouvé tout le monde et les crises, c’est bien connu, font sortir ce que les gens ont de pire et d’irrationnel. Pour ma part, j’ai passé près d’un mois au printemps à travailler en réanimation à raison de 60 à 80 heures par semaine (les gens qui me racontent qu’ils sont dé-bor-dés, j’ai toujours eu du mal à compatir). J’ai mis trois mois à en récupérer, j’ai remis ça au mois d’août, vacances des collègues obligent et je vais peut-être rempiler. Ce qui est sûr, c’est que cette période m’a fait perdre le peu de patience qui me restait vis-à-vis de la connerie humaine.

 

Alors je vais vous faire un aveu, oui, un come-out. Je vais sortir du placard et tout déballer.

 

Je fais partie de ce groupuscule radical et extrémiste, qu’on appelle les modérés. Ceux qui ne s’énervent pas toutes les cinq minutes, qui sont capable de se taire quand ils n’ont rien à dire, qui peuvent vivre avec l’idée qu’ils n’ont pas toujours raison, qui savent que le monde est fait de nuances de gris et qu’il y a rarement une solution parfaite à tous les problèmes.

 

Rien que ça, c’est suffisant pour heurter la sensibilité de nombre de français. Dans notre beau pays, il est de bon ton d’afficher des convictions fortes, de ne jamais être d’accord avec son interlocuteur et d’avoir une grande gueule. Tout au moins lors d’un dîner ou devant son ordinateur. Ajoutez à cela le fait que les français adorent couper les cheveux en quatre (un trait qu’ils partagent avec leurs voisins d’Outre-Manche) et vous comprendrez que pour chaque sujet, il y a autant d’opinions irréconciliables que d’individus). Comment n’a-t’on pas encore plongé dans la guerre civile ? Je pense que la réponse est dans l’un de mes dictons préférés : « c’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins ».

 

Vous penseriez qu’il n’y a rien de plus consensuel et bienveillant que de tenter d’enrayer une épidémie et protéger les plus vulnérables. Ben non, vous allez forcément voir des gens qui protestent. Qui ne sont pas d’accord et en sont fiers. Le port du masque est une atteinte à leurs droits les plus sacrés. C’est au nom du même principe que leurs parents ou grands-parents s’opposaient à la ceinture de sécurité, à la limitation de l’alcool au volant et aux limitations de vitesse dans les années 70 et 80. C’était paraît-il intolérable. Où allait-on ? Ce ne pouvait-être qu’un complot communiste téléguidé par le KGB pour déviriliser la France. Hélas, l’hécatombe continuait. Le nombre de morts sur les routes était près de trois fois ce qu’il est actuellement alors qu’il y avait moins de voitures. Des accidents liés au non-respect du code de la route et à la vitesse, pour la plupart. Ben oui, les lois de la physique se fichent de votre opinion. Les virus aussi.

 

Quand ils ne discutent pas de l’effet des masques sur leurs libertés fondamentales, les gens de mon réseau social discutent de diverses polémiques, venues des US, en général. En France, on ne peut pas créer nous-même une grande polémique sur le harcèlement sexuel, il faut attendre l’affaire Weinstein et lire l’annonce par les médias du massacre de noirs aux US avant de parler de notre propre racisme. Un peu minable mais passons. Le grand sujet semble être quand même la discrimination des personnes LGBT et, sans vouloir minimiser le problème, je n'ai jamais compris l’importance qu’il semble avoir pris récemment sur les réseaux, surtout par rapport aux autres questions de société. Cela prouve, à mon humble avis, qu'en 2020, les occidentaux ont toujours un intérêt disproportionné pour la vie sexuelle de leur prochain, même s’ils clament haut et fort qu’elle ne les regarde pas. Il ne me viendrait pas à l’esprit d’interroger mes collègues ou voisins pour savoir avec qui ils couchent, mais j’ai l’air d’être une exception.

 

Mais on ne va pas râler (une autre particularité française). L’intention de toutes ces discussions est louable. Sauf que les gens s’y expriment en termes si agressifs et radicaux  qu’ils ne tardent pas à se disputer. Les modérés comme moi préférent se taire, à en devenir invisibles. Peut-être est-ce moi qui ai un réseau bizarre : en tant qu’autrice, je suis plutôt reliée à ce que les anglais appellent les « chattering classes », les classes bavardes des intellos.

Ainsi, dès qu’une mini-célébrité émet une déclaration raciste, sexiste, homophobe etc… Ses propos sont répétés, amplifiés et commentés sur les réseaux, leur donnant un retentissement qu’ils ne méritent pas. Comme ces mini-célébrités vivent justement de célébrité, cet écho indigné les arrange. L’indifférence est la pire insulte à leur faire. Pour les plus vieux, vous rappelez-vous comment les petites phrases de Jean-Marie Le Pen étaient commentés en long en large et en travers dans les journaux des années 80 ?  Cette tactique lui a fait gagner pas mal d’électeurs et a été reprise par nombre de politiciens depuis 30 ans, y compris par le locataire actuel de la Maison Blanche : plus c’est gros, plus ça fait de bruit plus ça apporte de succès.

 

Certains d’entre vous vont même jusqu’à se lancer dans une polémique avec l’auteur de la déclaration fracassante sur sa page Facebook et autres. Le plus souvent, vous vous sentez personnellement visé/e : vous êtes une femme, « racisé/e », LGBT etc… et c’est l’escalade. Comprenez bien que ce genre de discussion ne peut se conclure que de deux façons : soit vous allez finir par dire des stupidités et être grossièr/e, auquel cas vous allez justifier le sentiment de supériorité de votre interlocuteur. Soit, vous allez avancer des arguments rationnels de façon logique et courtoise et vous allez confirmer son pire soupçon : les femmes/racisé/es/LGBT sont des gens très bien… peut-être meilleur/es que lui, capables de lui piquer son job, voire de devenir son supérieur hiérarchique. Là, c’est carrément intolérable. Vous êtes l’ennemi/e à abattre. Bref, vous n’avez aucune chance de le faire changer d’avis. Vous, vous êtes énervé/es, mais pour lui, c’est une question de survie.

 

Rappelez-vous que dans une démocratie, les gens ont le droit d’avoir des opinions et même les exprimer (un de mes chefs disait « La vraie démocratie, c’est quand même les imbéciles ont le droit de parler »). Les gens ont le droit d’avoir des opinions racistes, misogynes, LGBTphobes etc… Au moins, ils ont le mérite d’être honnêtes. On sait qu’ils sont cons au-delà de tout sauvetage et ne méritent pas une discussion. Leur connerie, c’est leur problème. Le problème des autres c’est d’en éviter les conséquences, en particulier en disséminant leurs propos.

 

 

Toutes ces polémiques ont pris tant d’ampleur qu’elles en ont presque éclipsé le grand sujet qui concerne tout le monde quel que soit son orientation sexuelle, origine ou sexe : le réchauffement climatique. À l’heure où les gens ne devrait penser qu’à ça (et peut-être l’épidémie en cours), ils sont englués dans des mini-disputes par écran interposé. Il est bien plus facile de vous prononcer sur les LGBT qui au fond, sont de bons français/es dont l’existence ne perturbe pas la vôtre et ne constituent que quelques pourcents de la population, que sur le réchauffement climatique qui pourrait vous obliger à remettre en cause votre style de vie en entier.